mardi 31 janvier 2012

De l’existence en pilote automatique ou Le GPS pour les cons.

Vl’à qu’ça r’commence.

Ma générosité est à nouveau mon pire ennemi. J’ai accepté ce plan boulot uniquement pour rendre service à un ami et me voilà donc sillonnant les routes de Moselle. Au volant :  Sylvie du service communication du Conseil Général 57. Ca fait quinze ans qu’elle y bosse et l’ambiance au boulot est “super”. Son mari, commercial dans une boîte de volets roulants lui a donné deux “merveilleux” enfants, Cindy 14 ans et Enzo 10 ans. Il me semble que la couche de vernis d’auto-persuasion ne demande qu’à se craqueler pour pouvoir enfin hurler qu’elle n’en peut plus de rentrer dans son pavillon en préfabriqué pour remplir la panse de ses deux chiards et de l’autre gros pourceau de footeux affalés devant Laurence Ferrari. Du coup, elle dérive toute sa frustration dans des projets de comm’ minables comme celui dans lequel elle m’a embringué. Notre mission : faire la tournée des maisons de retraite et des salles polyvalentes pour le repérage d’un film sur les actions du département envers ces cacochymes administrés; sujet ô combien glamour et palpitant.  C’est ma guide qui a eu l’idée “brillante, moderne et originale” de commander le fameux film et elle a bataillé dur auprès de sa hiérarchie pour faire valider “un projet aussi fou-fou” - comme elle dit. Elle est donc totalement surexcitée dans ce matin froid. Le fait que mon train arrive de la capitale lui a sans doute laissé entendre que c’était le jour ou jamais de se montrer funky. Elle a donc mis son ensemble en jean veste/pantalon jusqu’au nombril et T-shirt blanc pailleté du sigle Dolce&Gabbana. Si elle s’était arrêtée là, j’aurais pu survivre mais elle s’est aussi jeté un seau d’Angel de Mugler sur la poire, ce qui, mélangé avec le chauffage de la Clio blanche du CG, donne une densité à l’air proche de la mélasse. Sylvie m’énumère beaucoup trop vite la liste des festivités qu’elle s’apprête à me faire subir toute la journée. Le réveil à 5h30 ne me maintient pas dans une torpeur suffisante pour ne pas constater que mon existence est mise en péril par sa conduite hasardeuse. De toute évidence, elle n’a pas saisi l’utilité des petits miroirs disposés de part et d’autre du véhicule et les coups de klaxon et appels de phares des autres conducteurs ne semblent pas déclencher de remise en question dans son fat cortex. Ses violents coups de frein intempestifs pour être certaine de passer à 20 kilomètres heure en deçà de la vitesse réglementaire devant les radars automatiques sont, pour moi à cet instant-ci, le summum du crétinisme autoroutier. Elle m’abreuve également du récit de son existence en mettant un voile pudique sur tous les renoncements auxquels son cher et tendre lui a fait “consentir”. C’est l’omertà sur tous les rêves de jeune fille qu’elle a rangés dans une petite boîte cachée au fond du dressing. Monsieur, dans sa grande bonté patriarcale mâtinée de misogynie sourde, a réussi à lui inculquer les manières d’une bonne fifille docile. Mais sa frustration suppure par tous ses pores et, aujourd’hui, elle suinte jusque dans mon conduit auditif sous la forme des phrases toutes faites sur le bonheur, signe flagrant d’un formatage cathodique.  Mais bon, on papote, on papote mais on en oublierait presque qu’une mission nous attend et que pour nous y conduire, nous allons devoir nous fier… au GPS. Je n’ai alors pas conscience que nous n’avons pas encore quitté le périmètre de son trajet quotidien mais que notre périple nous mènera immanquablement à en sortir.
Je tente de celer ma panique derrière un stoïcisme facial lorsque ses mains quittent le volant et ses yeux la route pour fouiller dans son sac à main et en sortir nonchalamment le dispositif qu’elle ventouse sur le pare-brise après avoir passé sa langue gluante sur le caoutchouc. Elle tapote maintenant le bidule pour y rentrer la destination. La voiture dérive lentement sur la ligne en pointillés. Je vis un remake grotesque de Lost Highway avec pour bande-son Virgin Radio. La voix synthétique nous souhaite une bonne journée. Il me semble y percevoir une once d’ironie cruelle. Cette dite journée, si toutefois j’en réchappe, s’annonce comme mon nouveau Golgotha. Je suffoque peu à peu, l’air brûlant exhalé par le véhicule de service m’appuie sur la poitrine et la nausée m’envahit insidieusement malgré le vide de mon estomac. Je me hais d’avoir gardé mon pull. Sylvie, pour sa part, est plus guillerette que jamais à l’idée de parcourir la route des fuites urinaires et de la naphtaline en ma compagnie. Elle veut tout savoir de ma vie palpitante. “Quelles stars as-tu croisés? Et Mac Lessgy, il est sympa? C’est pas trop dur de pas travailler tous les jours? T’aimes les animaux? C’est quoi la mode à Paris? Ca doit être super de pouvoir aller au Louvre souvent! Parce que moi, je suis très branchée Art. T’es déjà allé à un concert des Enfoirés?” L’interrogatoire n’en finit plus jusqu’à ce que la nana du Tomtom scande “Prochaine sortie, serrez à droite.” Et là, dans un réflexe pavlovien, elle obéit à la voix du Grand Timonier numérique et dérive lentement sur la droite jusqu’à emprunter la bande d’arrêt d’urgence sans même tilter qu’il ne s’agit pas de la bretelle de sortie. Mais c’est pas possible d’être aussi moutonnièrement con!

Je me vois, tel John McClane, décrocher ma ceinture de sécurité en une fraction de seconde, pivoter sur mon assise et lui coller mes pumas dans son bedon-flamby l’éjectant miraculeusement de la voiture et me projettant immédiatement au volant. Son petit corps pantelant percute le camion qui nous dépassait alors. Une gerbe vermillon éclaire le rétroviseur. La marionnette désarticulée roule-boule mollement sur l’asphalte jusqu’à ce qu’un crétin en 4x4 la renvoie valser quelques mètres plus loin. Au rythme des voitures qui roulent sur la dépouille informe, elle passe successivement de l’état de gros lambeau sanguinolant, à celui de compote pourpre puis à celui de longue traînée sombre et négligeable sur le bitume. Ce n’est plus qu’une vague nuance dans le rétroviseur et je me demande si le seul témoignage de son séjour terrestre ne serait pas une phalange miraculée sous la rambarde de sécurité. Acte de compassion ultime de ma part que d’avoir mis fin à cette existence de frustration rance.


Elle se tourne vers moi et me demande si tout va bien. Mes mains se crispent sur le molleton du fauteuil. Un “Ca roule !” sort de ma bouche comme un rot. Je lui souris.

Mais qu’est-ce qui me retient?

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