lundi 16 juillet 2012

Du néo-management ou l'entreprise pour les cons.



V’là qu’ça r’commence.



Aujourd’hui, ma mission est d’assurer la technique pour le séminaire annuel d’une entreprise de vente par téléphone (les connards qui vous harcèlent pour vous refourguer du double-vitrage). Ils ont déversé des cataractes de poudre aux yeux en organisant des duplex avec leurs différentes antennes en régions et j’ai l’immense joie de gérer celle du Sud-Est. Toute l’équipe a été conviée à l’Oliveraie, un restaurant de la  ZAC de l’Aigue Brune, dans la salle que l’on réserve d’ordinaire aux banquets de mariage et autres immondices festives comme en témoigne la boule à facette pendouillant comme une burne esseulée au centre de la pièce. Mon rôle est prépondérant dans la bonne tenue du cérémonial d’auto-onction de pommade : je dois cliquer sur “appel video” dans la fenêtre Skype. Voyage au bout de l’ennui.

La journée commence par le prêche du directeur général à Paris qui, fête oblige, a tombé sa veste Hugo Boss, uniforme de sa caste, et appelle successivement les différentes antennes régionales à faire “un maaaaximum de bruiiiit”. Sous les feux des projecteurs, les plus bas instincts du Cauet qui sommeillait en lui commencent à suppurer. Je ressens déjà l’incommensurable privilège d’être tombé à Marseille pour voir tous ces dégénérés ovinoïdes corporates secouer leurs écharpes et maillots azur et blanc. Rien de tel pour distiller un esprit de performance que de créer une rivalité entre les régions et ici, le chauvinisme primaire est niveau Champion’s League. Là-dessus, il enchaîne sur le bilan de l’année écoulée en expliquant que “tous les objectifs ont été explosés” au bout de 10 mois et cela grâce à un “process reengineeré” mais surtout grâce à eux, serviles petites mains prêtes à faire l’impasse sur leurs heures sup’, leur personnalité, leur santé au nom de l’esprit d’entreprise. Dans un ultime triple-lutz rhétorique, il arrive même à convaincre toute la masse subalterne que le “downsizing” (euphémisme pudique pour dire que le groupe a viré des centaines de personnes) était une fatalité mais que, “grâce à leur énergie et à leur enthousiasme, le groupe avait su se rebooster”. Le  kapo est maintenant bouillant pour donner une bonne leçon de mobilisation de troupes et quoi de plus efficace que la métaphore sportive? Quel moment d’émotion lorsqu’il raconte que, bien qu’il palpe plus de 10 fois le salaire de ses interlocuteurs, il a “su rester simple et garde dans son bureau un poster de Nadal.” Il continue la mise en pratique de son stage de coaching. “Cette année, la branche commerciale a remporté Roland Garros mais l’an prochain, il faudra gagner le grand chelem mais qu’il ne se fait aucun soucis car tous les collaborateurs sont des winners pro-actifs.” La remontée de fosse septique via les hauts-parleurs continue. “Allo Nantes, vous nous entendez? Il faudrait que vous nous présentiez le nouveau process du back-office asap.” Le dir comm’ locale nous balance sa logorrhée à base de “knowledge management et de reporting des derniers brainstormings.” Je surprend mon index se fléchir convulsivement comme sur une gâchette. Des courbes, des chiffres, des pourcentages, des ratios, des projections temporelles, tout ça pendant une heure et quart pour en arriver à la conclusion qu’ils allaient se comporter toujours plus comme des crevures. “Marseille, Marseille? C’est à vous. Que pouvez-vous nous dire sur le team management?” Jean-Laurent, le directeur de plateforme aka minable petit chefaillon engominé, a décidé faire parler ses “collaborateurs.” Il laisse donc le micro à Isa, la bonnasse de l’antenne qui a mis sa plus belle tenue de pétasse méridionale pour l’occasion. Elle raconte avec émotion comment ses chefs ont eu l’immense bonté de lui lâcher 150€ de budget pour aller acheter (sur son temps libre) 4 fauteuils acidulés et une plante verte chez Ikea pour créer un espace “lounge/détente” dans un coin de l’open space à côté de la senseo. Jean-Lo renchérit en montrant qu’il a beau être le supérieur hiérarchique, “tout le monde est dans le même bateau et que c’est ensemble qu’ils graviront les montagnes. TO-GE-ZER.” Kevin, 23 ans, témoigne maintenant de l’avancée fulgurante qu’il a vécue. Il est encore timide et peu assuré mais grâce à sa capacité à exécuter toutes les consignes sans jamais poser de questions, il a réussi, au bout de 18 mois, à quitter le placard à balais dans lequel on l’avait remisé pour enfin pouvoir partager un bout de bureau avec tous ses collègues / langues de putes de l’openspace. Consécration ultime, il est maintenant l’adjoint de l’assistant du responsable technique et que, de ce fait, il est à même de pouvoir tirer encore plus rapidement des câbles ethernet et redémarrer les ordis plantés, et cela pour un salaire indigne de l’Europe de l’Est. Morale de l’histoire : “Quand on veut, on peut et quand on vise la Lune et qu’on échoue, on finit dans les étoiles.“ J’ai envie de vomir. C’est au tour de Julien, responsable du développement des ressources humaines, de prendre le crachoir. Dans son petit costume Celio, le sup’ de connerie trépigne à l’idée de présenter la révolution qu’il a su instaurer dans le domaine de “l’éval’ de performance.” Jusque-là, dans la plateforme téléphonique, l’évaluateur avait seulement deux solutions pour écouter les négociations commerciales des téléopérateurs, soit en leur signalant, soit en loucedé. Maintenant, dans une perfide manoeuvre, les esclaves du combiné téléphonique peuvent bien montrer leur joug; ils disposent d’une touche pour faire écouter volontairement leurs plaidoyer mercantile à leur superviseur, avec naturellement le prétexte de pouvoir améliorer leurs techniques. Il s’interromp soudainement et se tourne vers moi pour me demander, dans une crise de sardouïte “Notre ami de la technique pourrait-il monter un peu mon retour?” Ma jambe droite n’arrête pas de trembler, il faut que je sorte.



Je me vois ressortir du local technique avec tous les bidons de produits chimiques que j’ai pu trouver et les déposer au milieu des rangées de chaises. Jean-Laurent poursuit son speech de conclusion en expliquant quel honneur c’est de travailler avec des collaborateurs qui ont tant de qualités. Je débouche un bidon de white spirit et laisse une longue trainée jusqu’à la sortie. L’assemblée se demande ce que je peux bien foutre mais, ils sont bien dressés qu’ils restent place. Une fois proche de la porte, j’attrape une camel. La pierre du briquet produit la gerbe incandescente nécessaire. Une taff. Je les regarde à travers le nuage bleuté et mouvant, toujours hypnotisés par l’écran. L’image surgit dans mon esprit comme une claque. Ce sont des morts-vivants. Même harde d’organismes avides du cerveaux des autres, même comportement hiératique et structuré autour d’un même but : l’annihilation. L’invasion a déjà commencé. Une angoisse sourd soudain à mes tempes. Le feu permettra t-il de les éradiquer ou faudra t-il que je les finisse à coup de kakemono. Je prends une dernière bouffée, je souffle la cendre sur l’extrémité et je jette le cône orange vif dans la flaque d’essence devant moi. Une onde bleue-vert se rue sur les bidons et provoque un bouquet de flamme qui embrase l’assistance. Les torches sur pattes se débattent en tout sens. Du coin de l’oeil, j’aperçois le zombie en chef refusant de comprendre ce qu’il voit à travers la liaison skype qui se maintient toujours. L’écran dégouline peu à peu en boue comburante. Les cris cessent peu à peu. Ca pue. Le souffle de la crémation m’arrive encore au visage; les restes de la chaleur humaine.

“ Eh bien merci Marseille pour ce point. Je vois que l’ambiance est torrrrrrrride du côté de la cité phocéenne. Je me tourne tout de suite vers Lyon...” Jean-Lo pivote vers moi sur son tabouret en plexiglas, les deux pouces en l’air, embrasé d’auto-satisfaction. Je lui souris.

Mais qu’est-ce qui me retient?

vendredi 30 mars 2012

De l’aspiration culturelle ou l’intelligentsia des cons

V’là qu’ça r’commence.

Quel mauvais karma guide ainsi mes pas pour que, même lors des quelques jours de repos que je prends là où j’ai grandi, je me retrouve embringué dans une inauguration de librairie / séance de dédicace avec une gratte-papier locale. Toute la petite élite intellectuelle locale y est réunie. La particularité de ces événements soi-disant culturels dans ce type de ville moyenne est justement qu’on y retrouve une forme d’osmose parfaite entre une vacuité cérébrale quasi-totale et le sentiment exactement inverse de la part des gens qu’on y trouve. L’après-midi avait déjà bien mal commencé par un débat avec la scribouillarde. Chaque nouvelle intervention de public en chemisette/sandales/chaussettes commençait par un “ Tu permets qu’on se tutoie?” et se terminait en général par une platitude. Manière ô combien subtile de faire savoir à l’assemblée que l’on achète son pain aux céréales au même endroit que la verbieuse et qu’à ce titre, on est très intime avec elle. Laquelle répondait généralement une fatuité avec une métaphore raffarinesque. M’étant épargné sa prose, la seule question qui me venait à l’esprit était “Mais comment oser intituler son ouvrage de manière aussi insipide et tarte que La clé de mes songes”? Après de longues heures à énumérer des fadaises, l’ennui commence à poindre et une sorte de code secret entre l’auditoire et l’intervenante envoie soudain le signal qu’il est l’heure (18h34) de continuer autour du buffet. Je veux fuir mais la personne qui m’a traîné ici me fait bien comprendre qu’elle a pleeeeiiiiiiiinnnnn de gens à me présenter. Pourquoi s’est-elle mis en tête que je travaillais dans la culture alors que j’en ignore même le sens? Et me v’là à serrer la paluche de la libraire de l’autre librairie mais qui a quand même eu la courtoisie de venir, d’un prof de philo à la retraite avec un tout petit chien mâchouillant un hérisson en caoutchouc ponctuant la conversation de quelques pouëts (disparus), d’un sculpteur de noyaux d’avocat, de l’élue à la culture / prof d’éco à l’IUT, etc. Grâce à une périlleuse manoeuvre d’esquive, j’arrive enfin près du comptoir où un grand maigrichon mal rasé me tend un gobelet en m’annonçant “Jus de pomme au gingembre” et en ajoutant avec une fierté dérisoire “C’est du bio!”. Je trouve refuge dans un coin discret pour siroter mon breuvage alter-mondialiste si tant est qu’un autre monde plein de pommes ne serait pas vraiment une nouveauté. Soudain, je sens comme un laser rouge tremblant et faisant des allers-retours entre mon front et ma poitrine. Il s’agit en fait  du doigt de mon pote me désignant  à une vieille peau, ce qui annonce la fin de mon répit. La momie, avec sa face burinée par trop d’après-midi passés au soleil à rien foutre dans le jardin de son pavillon, s’approche dangereusement de moi. D’un geste vigoureux, elle me tend la main en me lançant un violent “Bonsoir, je m’appelle Colette, je suis conteuse.” et elle compte justement m’entretenir, si je comprends bien, de photos que j’aurais prises et postées sur Facebook. Je me revois alors construire innocemment le piège Zuckerberguien autour de moi en me disant que ces images ne serviraient qu’à distraire les potes. Mais non : par je ne sais quelle nébuleuse chaîne de “like”, l’amie Colette est arrivée jusqu’à mes clichés et, plus grave, a demandé à me rencontrer. Elle se répand allègrement sur mon sens du cadrage, sur la vie que je sais saisir au vol, sur mon sens si particulier de la composition. Elle me compare même au seul photographe qu’elle connaît, Cartier-Bresson. La conne. Le costume de mec talentueux que l’on m’a enfilé de force commence sérieusement à m’étouffer et, surtout, l’étiquette m’irrite horriblement. Elle n’entend de toute évidence pas que je suis simplement un gars qui a lu le manuel d’utilisation de son appareil. La voilà maintenant déblatérant sur son fils, violonoeud dans un obscur congrégat de rebuts de conservatoire. Et vas-y que ça commence à marcher pas mal pour lui, qu’il a plein de supers nouvelles opportunités et que surtout, il faut ab-so-lu-ment que j’aille lui tirer le portrait. Nous y voici. Je tente de lui faire comprendre que des gens sauraient le faire avec mille fois plus de talent et de professionnalisme que moi, et que ces gens s’appellent des photographes. Elle commence à prendre la mouche en comprenant que je n’étais pas du tout enthousiaste à l’idée de me faire chier à pointer mon objectif sur son bambin, pour que mes clichés se retrouvent sur une énième page Myspace. Et il est vrai que je porte un intérêt plus que relatif aux ouvertures que cela pourrait m’apporter dans le milieu local. Elle insiste, outrée que sa progéniture m’indiffère, et commence à m’agresser en me disant qu’à Paris, ils sont incapables de voir la véritable culture. L’ironie de savoir que j’habite à 800 bornes de la capitale ne me fait même pas rire. Là, dans un élan désespéré d’attirer l’empathie ou une tentative de mesmérisme, elle enserre ma main droite, le regard implorant. Le contact tiède avec le parchemin de son épiderme provoque chez moi un violent haut-le-coeur.


Je me vois attraper le couteau qui a servi à découper une plaque de pizza trop épaisse et m’entaille les poignets, dans le sens des veines naturellement. Un liquide vermillon jaillit jusque dans la bassine de jus de pomme et lui donne une couleur bien moins pisse d’âne. Devant les premiers regards ahuris que je perçois, je commence à circuler parmi les gens en leur aspergeant le faciès. Une fillette pleurniche en voyant la nouvelle teinte que j’ai donnée à sa poupée. J’abasourdis Colette en lui montrant de facto comment j’exprime de manière artistique et culturelle le dégoût que sa gent provoque chez moi et à quel point tous me sortent par les yeux et les avant-bras. Ce liquide que j’aurais pensé noir à cause de la haine accumulée les noie tous autant qu’ils sont, avec leurs bermudas, leurs chemisettes et leur autosatisfaction gerbante. La libraire pleure d’horreur devant le désastre de son petit pince-fesses. Mon coeur, que j’imaginais sec depuis le temps, s’avère être une pompe si puissante que les giclées fusent en tous sens et en épargnant personne. Je cours jusqu’à un présentoir à livres où je retrouve ce cher Raskolnikov. Je m’effondre. Après le rouge, le noir... enfin.

Dépité, je dicte mon adresse email et mon numéro de portable, … le vrai,  à Colette. ”Il n’a qu’à m’appeler.”  Dans un réflexe de politesse, je lui souris.

Mais qu’est-ce qui me retient?

mardi 31 janvier 2012

De l’existence en pilote automatique ou Le GPS pour les cons.

Vl’à qu’ça r’commence.

Ma générosité est à nouveau mon pire ennemi. J’ai accepté ce plan boulot uniquement pour rendre service à un ami et me voilà donc sillonnant les routes de Moselle. Au volant :  Sylvie du service communication du Conseil Général 57. Ca fait quinze ans qu’elle y bosse et l’ambiance au boulot est “super”. Son mari, commercial dans une boîte de volets roulants lui a donné deux “merveilleux” enfants, Cindy 14 ans et Enzo 10 ans. Il me semble que la couche de vernis d’auto-persuasion ne demande qu’à se craqueler pour pouvoir enfin hurler qu’elle n’en peut plus de rentrer dans son pavillon en préfabriqué pour remplir la panse de ses deux chiards et de l’autre gros pourceau de footeux affalés devant Laurence Ferrari. Du coup, elle dérive toute sa frustration dans des projets de comm’ minables comme celui dans lequel elle m’a embringué. Notre mission : faire la tournée des maisons de retraite et des salles polyvalentes pour le repérage d’un film sur les actions du département envers ces cacochymes administrés; sujet ô combien glamour et palpitant.  C’est ma guide qui a eu l’idée “brillante, moderne et originale” de commander le fameux film et elle a bataillé dur auprès de sa hiérarchie pour faire valider “un projet aussi fou-fou” - comme elle dit. Elle est donc totalement surexcitée dans ce matin froid. Le fait que mon train arrive de la capitale lui a sans doute laissé entendre que c’était le jour ou jamais de se montrer funky. Elle a donc mis son ensemble en jean veste/pantalon jusqu’au nombril et T-shirt blanc pailleté du sigle Dolce&Gabbana. Si elle s’était arrêtée là, j’aurais pu survivre mais elle s’est aussi jeté un seau d’Angel de Mugler sur la poire, ce qui, mélangé avec le chauffage de la Clio blanche du CG, donne une densité à l’air proche de la mélasse. Sylvie m’énumère beaucoup trop vite la liste des festivités qu’elle s’apprête à me faire subir toute la journée. Le réveil à 5h30 ne me maintient pas dans une torpeur suffisante pour ne pas constater que mon existence est mise en péril par sa conduite hasardeuse. De toute évidence, elle n’a pas saisi l’utilité des petits miroirs disposés de part et d’autre du véhicule et les coups de klaxon et appels de phares des autres conducteurs ne semblent pas déclencher de remise en question dans son fat cortex. Ses violents coups de frein intempestifs pour être certaine de passer à 20 kilomètres heure en deçà de la vitesse réglementaire devant les radars automatiques sont, pour moi à cet instant-ci, le summum du crétinisme autoroutier. Elle m’abreuve également du récit de son existence en mettant un voile pudique sur tous les renoncements auxquels son cher et tendre lui a fait “consentir”. C’est l’omertà sur tous les rêves de jeune fille qu’elle a rangés dans une petite boîte cachée au fond du dressing. Monsieur, dans sa grande bonté patriarcale mâtinée de misogynie sourde, a réussi à lui inculquer les manières d’une bonne fifille docile. Mais sa frustration suppure par tous ses pores et, aujourd’hui, elle suinte jusque dans mon conduit auditif sous la forme des phrases toutes faites sur le bonheur, signe flagrant d’un formatage cathodique.  Mais bon, on papote, on papote mais on en oublierait presque qu’une mission nous attend et que pour nous y conduire, nous allons devoir nous fier… au GPS. Je n’ai alors pas conscience que nous n’avons pas encore quitté le périmètre de son trajet quotidien mais que notre périple nous mènera immanquablement à en sortir.
Je tente de celer ma panique derrière un stoïcisme facial lorsque ses mains quittent le volant et ses yeux la route pour fouiller dans son sac à main et en sortir nonchalamment le dispositif qu’elle ventouse sur le pare-brise après avoir passé sa langue gluante sur le caoutchouc. Elle tapote maintenant le bidule pour y rentrer la destination. La voiture dérive lentement sur la ligne en pointillés. Je vis un remake grotesque de Lost Highway avec pour bande-son Virgin Radio. La voix synthétique nous souhaite une bonne journée. Il me semble y percevoir une once d’ironie cruelle. Cette dite journée, si toutefois j’en réchappe, s’annonce comme mon nouveau Golgotha. Je suffoque peu à peu, l’air brûlant exhalé par le véhicule de service m’appuie sur la poitrine et la nausée m’envahit insidieusement malgré le vide de mon estomac. Je me hais d’avoir gardé mon pull. Sylvie, pour sa part, est plus guillerette que jamais à l’idée de parcourir la route des fuites urinaires et de la naphtaline en ma compagnie. Elle veut tout savoir de ma vie palpitante. “Quelles stars as-tu croisés? Et Mac Lessgy, il est sympa? C’est pas trop dur de pas travailler tous les jours? T’aimes les animaux? C’est quoi la mode à Paris? Ca doit être super de pouvoir aller au Louvre souvent! Parce que moi, je suis très branchée Art. T’es déjà allé à un concert des Enfoirés?” L’interrogatoire n’en finit plus jusqu’à ce que la nana du Tomtom scande “Prochaine sortie, serrez à droite.” Et là, dans un réflexe pavlovien, elle obéit à la voix du Grand Timonier numérique et dérive lentement sur la droite jusqu’à emprunter la bande d’arrêt d’urgence sans même tilter qu’il ne s’agit pas de la bretelle de sortie. Mais c’est pas possible d’être aussi moutonnièrement con!

Je me vois, tel John McClane, décrocher ma ceinture de sécurité en une fraction de seconde, pivoter sur mon assise et lui coller mes pumas dans son bedon-flamby l’éjectant miraculeusement de la voiture et me projettant immédiatement au volant. Son petit corps pantelant percute le camion qui nous dépassait alors. Une gerbe vermillon éclaire le rétroviseur. La marionnette désarticulée roule-boule mollement sur l’asphalte jusqu’à ce qu’un crétin en 4x4 la renvoie valser quelques mètres plus loin. Au rythme des voitures qui roulent sur la dépouille informe, elle passe successivement de l’état de gros lambeau sanguinolant, à celui de compote pourpre puis à celui de longue traînée sombre et négligeable sur le bitume. Ce n’est plus qu’une vague nuance dans le rétroviseur et je me demande si le seul témoignage de son séjour terrestre ne serait pas une phalange miraculée sous la rambarde de sécurité. Acte de compassion ultime de ma part que d’avoir mis fin à cette existence de frustration rance.


Elle se tourne vers moi et me demande si tout va bien. Mes mains se crispent sur le molleton du fauteuil. Un “Ca roule !” sort de ma bouche comme un rot. Je lui souris.

Mais qu’est-ce qui me retient?

mercredi 30 novembre 2011

Des altermondialistes ou un autre monde de cons.

V’là qu’ça r’commence.

Je m’étais pourtant bien promis de ne jamais refoutre les pieds dans ce genre d’endroit. Mais non, j’y suis effectivement. Ce petit appart’ qui sent la crasse graisseuse et noire, et la vieille fumée. Il y a tout, le poster vert jaune rouge Bob Marley et le Bart Simpson qui fume un joint, les deux fauteuils en cuir éventrés, le clic-clac dont la crasse concentrique semble figurer un gouffre prêt à digérer quiconque y pose son fondement, le pouf nauséabond en cuir rapporté du Maroc, la moquette dont la bière, le coca, les bouts de tabac et les vieilles cendres ont définitivement scellé le triste sort. Je suis aux aguets, la médiocrité n’attend qu’un seul mouvement de faiblesse de ma part pour me sauter à la gorge et aspirer mon âme. Cyril et Sébas’, crânes rasés, sweats à capuche élimés à coups de boulettes incandescentes, pantalons tenant à leurs séants contre les lois de la physique, anneaux à l’arcade, casquettes délavées avec des bouts de briquet sur la visière (pourquoi?) s’enfilent également la même königsbräu éventée, en caressant les mêmes bâtards putrides et en scandant les mêmes “Ouacoouule” pendant le récit de Serge. Le sergio ne se sent plus de joie et pour montrer sa belle voix, continue son factum sur son épopée à moto de Noisy-le-Grand à Boussy-Saint-Antoine en 1987 avec Corinne du groupe Téléphone. Sa gueule est burinée par une consommation de came coupée à tout et n’importe quoi. Ses quelques dents restantes semblent se balancer à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Il porte un jean style “fin de Gainsbarre” et un T-shirt kiloutou. Je le sens tellement heureux de pouvoir gratter 3 joints mais surtout que quelqu’un daigne encore lui parler. Cyril se penche lentement vers le carton retourné qui sert de table basse, colle deux feuilles et ...Oh non, c’est affreux,… décortique des mégots de clopes roulées pour confectionner son pétard. Je regarde autour de moi; personne ne réagit. Je commence à douter. Une mauvaise blague, on me filme? Bon, avant qu’il ne me le fasse tourner, la prudence me dicte de rejoindre Stéphanie et Cédric autour du bar qui sépare la kitchenette du reste de la pièce. Ils débattent sur cette notion fourre-tout et surtout cache-misère intellectuelle qu’ils appellent le “système”. La fenêtre au-dessus de l’évier laisse passer un léger filet d’air qui vient me glacer les lombaires laissés nus par la position que m’impose ce tabouret de bar de merde. Les propos de Stéphanie m’indiffèrent profondément et malgré moi, je la détaille de pied en cap. Des sandales en cuir achetées au marché des créateurs, un sarouel à rayures, un débardeur jaune-pisse et surtout cette inénarrable queue de rat derrière sa coupe en brosse. Je vois apparaître l’appendice capillaire chaque fois qu’elle rapproche sa bouche de ses doigts jaunis pour tirer une latte de sa clope énorme et froissée. En face d’elle, Cédric lui donne la réplique. Il ressemble à Jésus mais avec des lunettes et sans charisme. Il porte un T-Shirt “Sortons de l’âge nucléaire” fabriqué en Chine avec du coton OGM et déblatère avec une fougue molle sur le côté intolérable de l’économie qui prend le pas sur l’humain. C’est l’intello du groupe, et pour cause, il est en licence de philo, c’est dire s’il s’y connaît pour donner son avis sur tout. Et vas-y que ça blablate pendant des heures sur ce qu’il faudrait faire, comment il faudrait le faire etc. Le clonk irrégulier de la fenêtre au gré du vent me rappelle son isolation merdique. Mes doigts pâlissent de froid. Au bout d’un moment, n’en tenant plus d’impatience de titiller les révolutionnaires du pack de kro tiède, je demande innocemment à Cédric ce qu’il fait concrètement à part signer des pétitions sur internet. Quelle vague d’indignation je n’avais pas déclenchée là. Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse y avoir autant d’engouement et d’énergie à essayer de se justifier face à l’inconséquence de ses causeries. Me voici devenu le suppôt du grand capital, le chantre du libéralisme, le porte-parole de l’UMP.  Que de grandes tirades déculpabilisatrices et de contorsions sémantiques pour en arriver à : “De toute façon, t’es trop conformiste, tu peux pas comprendre.”... tout en m’exhalant un nuage capiteux de django au visage...



Je me vois l’attraper par la queue de cheval, ou plutôt d’âne bâté, et coller son profil anguleux dans la canette de heineken pliée en forme de fleur qui sert de cendar pour lui susurrer tendrement à l’esgourde :”Ecoute-moi bien, petite crotte. Je n’en ai rien à foutre que, cette année, tu aies enfin lu un bouquin d’Edgar Morin mais n’essaie pas de m’en revomir des extraits en tentant de me faire croire que tu en es l’auteur.  Je sais que l’an prochain tu t’enfileras les contrefeux de Bourdieu et avec un peu de chance du Foucault. Ton petit numéro marche peut-être avec les dupes petites connes de lycéennes à keffieh dans les manifs mais ne joue pas à ça avec moi. Ta petite posture aussi basse de plafond que ton appart’ est aussi cliché que nuisible à la cause que tu prétends défendre. Renonce à tes APL, à ta bourse et aux sous de papamaman et vas cueillir des pommes pour payer ton loyer. Là, tu pourras venir te faire passer pour un rebelle en mousse à mes yeux. Et par pitié,  pense, réfléchis, cogite, utilise ton cerveau, tergiverse, perds-toi en spéculation, argumente, fonde toi ta propre opinion avant de venir faire le chaud (show) devant moi. Alors retourne coller des autocollants de groupe de reggae sur ton ordinateur portable et surtout garde tes discours moubversifs pour tes dégénérés de copains.



...“Faudra que tu me mailes quelques liens que j’étudie tout ça.” Je lui souris.

Mais qu’est-ce qui me retient?