vendredi 30 mars 2012

De l’aspiration culturelle ou l’intelligentsia des cons

V’là qu’ça r’commence.

Quel mauvais karma guide ainsi mes pas pour que, même lors des quelques jours de repos que je prends là où j’ai grandi, je me retrouve embringué dans une inauguration de librairie / séance de dédicace avec une gratte-papier locale. Toute la petite élite intellectuelle locale y est réunie. La particularité de ces événements soi-disant culturels dans ce type de ville moyenne est justement qu’on y retrouve une forme d’osmose parfaite entre une vacuité cérébrale quasi-totale et le sentiment exactement inverse de la part des gens qu’on y trouve. L’après-midi avait déjà bien mal commencé par un débat avec la scribouillarde. Chaque nouvelle intervention de public en chemisette/sandales/chaussettes commençait par un “ Tu permets qu’on se tutoie?” et se terminait en général par une platitude. Manière ô combien subtile de faire savoir à l’assemblée que l’on achète son pain aux céréales au même endroit que la verbieuse et qu’à ce titre, on est très intime avec elle. Laquelle répondait généralement une fatuité avec une métaphore raffarinesque. M’étant épargné sa prose, la seule question qui me venait à l’esprit était “Mais comment oser intituler son ouvrage de manière aussi insipide et tarte que La clé de mes songes”? Après de longues heures à énumérer des fadaises, l’ennui commence à poindre et une sorte de code secret entre l’auditoire et l’intervenante envoie soudain le signal qu’il est l’heure (18h34) de continuer autour du buffet. Je veux fuir mais la personne qui m’a traîné ici me fait bien comprendre qu’elle a pleeeeiiiiiiiinnnnn de gens à me présenter. Pourquoi s’est-elle mis en tête que je travaillais dans la culture alors que j’en ignore même le sens? Et me v’là à serrer la paluche de la libraire de l’autre librairie mais qui a quand même eu la courtoisie de venir, d’un prof de philo à la retraite avec un tout petit chien mâchouillant un hérisson en caoutchouc ponctuant la conversation de quelques pouëts (disparus), d’un sculpteur de noyaux d’avocat, de l’élue à la culture / prof d’éco à l’IUT, etc. Grâce à une périlleuse manoeuvre d’esquive, j’arrive enfin près du comptoir où un grand maigrichon mal rasé me tend un gobelet en m’annonçant “Jus de pomme au gingembre” et en ajoutant avec une fierté dérisoire “C’est du bio!”. Je trouve refuge dans un coin discret pour siroter mon breuvage alter-mondialiste si tant est qu’un autre monde plein de pommes ne serait pas vraiment une nouveauté. Soudain, je sens comme un laser rouge tremblant et faisant des allers-retours entre mon front et ma poitrine. Il s’agit en fait  du doigt de mon pote me désignant  à une vieille peau, ce qui annonce la fin de mon répit. La momie, avec sa face burinée par trop d’après-midi passés au soleil à rien foutre dans le jardin de son pavillon, s’approche dangereusement de moi. D’un geste vigoureux, elle me tend la main en me lançant un violent “Bonsoir, je m’appelle Colette, je suis conteuse.” et elle compte justement m’entretenir, si je comprends bien, de photos que j’aurais prises et postées sur Facebook. Je me revois alors construire innocemment le piège Zuckerberguien autour de moi en me disant que ces images ne serviraient qu’à distraire les potes. Mais non : par je ne sais quelle nébuleuse chaîne de “like”, l’amie Colette est arrivée jusqu’à mes clichés et, plus grave, a demandé à me rencontrer. Elle se répand allègrement sur mon sens du cadrage, sur la vie que je sais saisir au vol, sur mon sens si particulier de la composition. Elle me compare même au seul photographe qu’elle connaît, Cartier-Bresson. La conne. Le costume de mec talentueux que l’on m’a enfilé de force commence sérieusement à m’étouffer et, surtout, l’étiquette m’irrite horriblement. Elle n’entend de toute évidence pas que je suis simplement un gars qui a lu le manuel d’utilisation de son appareil. La voilà maintenant déblatérant sur son fils, violonoeud dans un obscur congrégat de rebuts de conservatoire. Et vas-y que ça commence à marcher pas mal pour lui, qu’il a plein de supers nouvelles opportunités et que surtout, il faut ab-so-lu-ment que j’aille lui tirer le portrait. Nous y voici. Je tente de lui faire comprendre que des gens sauraient le faire avec mille fois plus de talent et de professionnalisme que moi, et que ces gens s’appellent des photographes. Elle commence à prendre la mouche en comprenant que je n’étais pas du tout enthousiaste à l’idée de me faire chier à pointer mon objectif sur son bambin, pour que mes clichés se retrouvent sur une énième page Myspace. Et il est vrai que je porte un intérêt plus que relatif aux ouvertures que cela pourrait m’apporter dans le milieu local. Elle insiste, outrée que sa progéniture m’indiffère, et commence à m’agresser en me disant qu’à Paris, ils sont incapables de voir la véritable culture. L’ironie de savoir que j’habite à 800 bornes de la capitale ne me fait même pas rire. Là, dans un élan désespéré d’attirer l’empathie ou une tentative de mesmérisme, elle enserre ma main droite, le regard implorant. Le contact tiède avec le parchemin de son épiderme provoque chez moi un violent haut-le-coeur.


Je me vois attraper le couteau qui a servi à découper une plaque de pizza trop épaisse et m’entaille les poignets, dans le sens des veines naturellement. Un liquide vermillon jaillit jusque dans la bassine de jus de pomme et lui donne une couleur bien moins pisse d’âne. Devant les premiers regards ahuris que je perçois, je commence à circuler parmi les gens en leur aspergeant le faciès. Une fillette pleurniche en voyant la nouvelle teinte que j’ai donnée à sa poupée. J’abasourdis Colette en lui montrant de facto comment j’exprime de manière artistique et culturelle le dégoût que sa gent provoque chez moi et à quel point tous me sortent par les yeux et les avant-bras. Ce liquide que j’aurais pensé noir à cause de la haine accumulée les noie tous autant qu’ils sont, avec leurs bermudas, leurs chemisettes et leur autosatisfaction gerbante. La libraire pleure d’horreur devant le désastre de son petit pince-fesses. Mon coeur, que j’imaginais sec depuis le temps, s’avère être une pompe si puissante que les giclées fusent en tous sens et en épargnant personne. Je cours jusqu’à un présentoir à livres où je retrouve ce cher Raskolnikov. Je m’effondre. Après le rouge, le noir... enfin.

Dépité, je dicte mon adresse email et mon numéro de portable, … le vrai,  à Colette. ”Il n’a qu’à m’appeler.”  Dans un réflexe de politesse, je lui souris.

Mais qu’est-ce qui me retient?